mercredi 15 décembre 2010

Fiche de lecture sur la conférence d'Alain Caillé


(cf transcription écrite)

La méthode de la fiche de lecture sera ici adaptée aux spécificités de l’objet en question et que présente la retranscription d’une conférence.

1- Présentation du conférencier et de la place de son intervention dans son œuvre.

Alain Caillé est un sociologue français qui a bénéficié d’une formation universitaire plurielle alliant économie et sociologie. Il est lui-même aujourd’hui directeur d’une spécialité de master interdisciplinaire « Société, Économie et Politique » et enseigne la sociologie à l’Université de Paris X. Fortement impliqué dans la recherche universitaire, il anime et co-dirige le SOPHIAPOL, laboratoire fusionnant sociologie, philosophie et anthropologie politiques. Il est à l’origine de la création de la Revue du MAUSS et dirige actuellement cette revue qu’il nourrit régulièrement d’articles et dont les réflexions sont à l’origine du cycle de quatre conférences organisé à la Cité des Sciences du 09 au 30 novembre 2010. L’intervention qui ouvre ce séminaire permet à Alain Caillé d’opérer à une présentation générale des travaux du MAUSS et de donner des clés de compréhension de la théorie du Don que les participants pourront mobiliser lors des trois autres conférences qui ont vocation à traiter de questions plus spécifiques (l’entreprise et l’hôpital plus particulièrement). Cette conférence fait écho aux nombreux articles publiés à la Revue du MAUSS ainsi qu’aux divers ouvrages dont Alain Caillé est l’auteur. Ainsi, son originalité tient moins dans le contenu des réflexions déjà exposées dans diverses publications, et ce depuis 1981, que dans la forme choisie pour les faire partager : un séminaire gratuit et ouvert à tous et au cours duquel les participants se voient invités à questionner et actualiser la pensée –insuffisamment connue selon Alain Caillé- de Marcel Mauss, afin d’entrevoir le projet politique porté par les rédacteurs de la Revue.

2. Situation de la conférence au sein de la discipline en question.

Comment inscrire cette intervention dans une discipline unique ? En réalité, c’est la question de l’interdisciplinarité qui nourrit les réflexions d’Alain Caillé et qui renouvelle sans cesse la portée et la pertinence de la pensée de Marcel Mauss dans nos sociétés actuelles. Jonglant avec des notions empruntées à la fois à l’économie, à la sociologie et à l’anthropologie, Alain Caillé inscrit son intervention dans la ligne éditoriale de la Revue du MAUSS qui se revendique d’essence et de projet pluridisciplinaires. En effet, ses auteurs ainsi que les thèmes qu’elle traite trouvent leur origine dans un large panel de disciplines et offrent une approche pluraliste du Don en le présentant comme véritable projet de société.

Cependant, comme le précisera Alain Caillé en réponse à une question du public, la revue ne compte parmi ses rédacteurs aucun juriste, ce qui explique peut être la carence en termes de transcription juridique et l’absence de réflexion explicitement critique à l’égard du droit positif au sein de ses membres.

3. Situation de la conférence dans le temps et dans l’espace

Comme il a été dit, cette conférence ouvre un séminaire se déroulant à la Cité des Sciences de la Villette tout au long du mois de novembre 2010. Son inscription spatiale et temporelle mérite quelques commentaires. En effet, les réflexions sur lesquelles Alain Caillé base toute son analyse pourraient apparaître à tort comme désuètes et inadaptées puisque tirées d’un ouvrage écrit en 1923 et consacré entièrement au fonctionnement des sociétés dites « archaïques », l’Essai sur le Don de Marcel Mauss. Mais là réside toute la pertinence et l’audace des réflexions du MAUSS. Ses membres travaillent depuis près de trente ans à l’actualisation de la pensée de Marcel Mauss afin d’opérer à une critique acerbe de nos sociétés contemporaines, marchandes et utilitaristes. Les réflexions de Marcel Mauss permettent de mettre en perspective nos manières actuelles de vivre en société sur le plan spatial –toutes les sociétés ne fonctionnent pas comme la nôtre- et temporel –il a existé de nombreuses autres manières de vivre en société. Cette réflexion passe donc par le rejet des théories évolutionnistes et universalistes.

4. Com- préhension de la conférence

Alain Caillé affirme qu’à la question « le don fait-il encore société ? », il faut répondre que « seul le don peut faire société ». Le postulat adopté par la revue du MAUSS, pour être réellement entendu, nécessite d’expliciter le terme ambigu de « don » et la conception politique qui va avec. A l’écoute de cette conférence, on comprend mieux l’interprétation que la Revue fait du don, les raisons de son déclin, et les orientations qui permettraient de le revaloriser pour « faire société ». Le projet politique apparaît alors clairement mais cette analyse contemporaine fait l’économie d’un questionnement sur le droit qui, bien que sans doute présent à l’esprit de l’auteur et apparaissant d’ailleurs en filigrane, mériterait que l’on s’y arrête. En effet, le raisonnement développé par Alain Caillé ne s’ouvre pas explicitement au droit alors que le sens, la place et le rôle de celui-ci pourraient être soulevés à de nombreux égards. Quelle est la part de responsabilité du droit étatique et de sa vocation hégémonique dans l’écrasement de la « société primaire » par la conception utilitariste des relations humaines ? Quelle pourrait être son rôle au sein d’une société « conviviale » qui redonne toute sa place aux sphères dites « primaires » que sont par exemple la famille ou le milieu associatif ? La Revue du MAUSS, si elle veut faire du don un réel projet de société, aurait tout intérêt à dialoguer avec l’anthropologue du droit qui s’applique à déconstruire les conceptions utilitaristes du droit au service de l’émergence et de la valorisation d’un droit fondé sur le système du don de Marcel Mauss.

5. Exploitation des non-dits et des allant-de-soi disciplinaires

Quelques non-dits et allant-de-soi peuvent rendre difficile la compréhension du raisonnement dans ses détails. Ils sont principalement dus à la forme orale et au temps imparti qui viennent limiter la clarté et l’exhaustivité de l’intervention. Cependant, les doutes et incompréhensions peuvent être rapidement levés à la lecture d’articles rédigés par le conférencier et dans lesquels il reprend l’essentiel des points développés ici (cf les citations choisies extraites de ces articles)

Je relève notamment:

- l’empreinte sociologique du discours peut freiner la compréhension du juriste tant au niveau des concepts (exemple : la convivialité n’a pas le sens qu’on lui donne dans le langage courant) que des auteurs cités (exemple : Derrida, Bourdieu…)

- la notion de don peut se prêter à différentes interprétations : il y a en réalité 4 types de théories relatives au don selon Alain Caillé qui s’inscrit dans la 4ème sans clairement expliquer son rejet des 3 autres

- le lien avec le droit et ce que l’auteur entend par droit reste un non-dit qui est pourtant dévoilé dans certains de ses articles : le sociologue partage en réalité des points communs avec la démarche anthropologique du droit peut être sans en avoir pris conscience

- nous sommes parfois trimbalés entre les notions de démocratie, de convivialité, de don et de rejet de la croissance sans que leurs liens soient clairs aux yeux du novice: la Revue du MAUSS s’inscrivant pleinement dans une littérature et un mouvement critique plus large (écologie politique, objection de croissance, localisme…), ces non-dits empêchent de saisir toutes les tenants et aboutissants de la conception maussienne du don.

De plus, certains points ne sont que légèrement abordés car destinés à être traités ultérieurement lors des autres conférences (exemple : les interactions entre les sociétés primaire et secondaire à travers l’exemple de l’entreprise ; l’ambivalence du don lorsqu’il peut être « poison »…)

6. Résumé complet

Partant de l’affirmation que « seul le don peut faire société », Alain Caillé explicite sa thèse en trois étapes successives.

1- Après avoir retracé la genèse de la revue du MAUSS, il s’applique à définir ce qu’est la conception politique du don tel qu’il a été révélé par Marcel Mauss. Il rejette, d’une part, les théories réductrices de Bourdieu et de Derrida qui ignorent l’intentionnalité du don et explicitent, d’autre part, les quatre caractéristiques intrinsèques du don ainsi que la triple alliance qu’il instaure lorsque le « donner-recevoir-rendre » permet de structurer la société.

2- Il s’intéresse dans un deuxième temps à reconsidérer le don dans les sociétés contemporaines à la lumière des évolutions politiques, économiques et religieuses qui ont malmené sa potentialité. L’émergence de la charité par la religion, l’écrasement de la « société primaire » par la « société secondaire » ainsi que l’avènement d’une société centrée sur l’individu et non sur le groupe, sont autant de facteurs qui font émerger une « société monde » dans laquelle le don peine à s’affirmer

3- Enfin, il ouvre la réflexion sur l’avenir du don en se demandant comment, afin de sortir de l’impasse vers laquelle mène une conception utilitariste des relations humaines, nous pourrions construire un paradigme basé sur une conception politique du don. Ce projet passe par la prise de conscience de notre démarche « occidentalo-centrée » qui prône la croissance économique comme universellement nécessaire ainsi que par des propositions concrètes qui doivent orienter la société vers le système du don.

7. Analyse critique : paradigmes et méthodes

Alain Caillé construit son raisonnement sur des couples de concepts qui révèlent l’opposition de paradigmes ou au contraire marquent la complémentarité:

Un danger peut être dans le raisonnement qui vise à opposer les concepts: le « tiers-exclu » ?

- le paradigme de la croissance contre celui de la « convivialité » - au sens développé par Ivan Illich (cf point 10)

- la société « primaire » contre la « société secondaire »

- le caractère hybride du don : à la fois intéressé et désintéressé / libre et obligatoire

- le don lui-même est consacré comme paradigme : doit donc devenir le référent de toutes nos actions, en opposition à l’utilitarisme qui prévaut aujourd’hui

- des preuves sont avancées pour soutenir la thèse, preuves historiques notamment comme l’échec d mythe de la croissance économique dans l’avènement de la démocratie : justifie un changement radical tourné vers la sphère non-marchande et anti-utilitariste que fédère le système du don

- l’opposition entre utilitarisme et intérêt est à souligner

Cette conférence, en considérant L’essai sur le don de Mauss comme déterminant pour critiquer nos sociétés contemporaines, s’inscrit dans un refus de l’évolutionnisme et de l’universalisme qui sont deux démarches très fréquentes dans les sciences sociales.

8. Ecriture des références en vue de leur exploitation dans le mémoire. Thésaurisation.

Exemples d’articles du conférencier dans lesquels ce dernier explicite sa thèse :

- site internet de la Revue du MAUSS (www.revuedumauss.com.fr) -cf bibliographie d’Alain Caillé

- A. CAILLÉ, « Le don entre science sociale et psychanalyse. L'héritage de Marcel Mauss jusqu'à Lacan », dans la Revue du MAUSS semestrielle, n°27, 2006, p. 57-78

- A. CAILLÉ, « Présentation », dans la Revue du MAUSS semestrielle, n°27, 2006, p.7-36

- A. CAILLÉ, « Ce qu’on appelle si mal le don... ». Que le don est de l’ordre du don, dans La Revue du MAUSS semestrielle, n°30, 2007, p.393-404

9. Note des citations mises de côté pour la rédaction du mémoire ainsi que leur référence précise

- « Le don est d’abord et avant tout un opérateur politique, au sens le plus général du terme. C’est lui qui opère l’alliance (l’adsociation), le passage de la guerre à la paix. » (A. CAILLÉ, « Ce qu’on appelle si mal le don... ». Que le don est de l’ordre du don, dans La Revue du MAUSS semestrielle, n°30, 2007, p.401)

Citations qui explorent la relation entre le don et le droit positif :

- « Contrairement à ce que l’on croirait spontanément, le don continue à jouer un rôle essentiel au sein des sociétés modernes, même si son espace y apparaît fortement réduit au profit de sphères régies par des lois plus ou moins impersonnelles, les sphères du marché, de l’État, de la science, bref, ce que j’appelle la socialité secondaire. Le don continue à structurer la sphère des relations interpersonnelles, familiales, amicales ou de voisinage, ce que j’appelle la socialité primaire.» (ibid)

- «Cette socialité secondaire est régie par une exigence d’impersonnalité, par des lois impersonnelles: la loi du marché, la loi de l’État qui ne fait exception pour personne […]. Mon pari théorique consiste à dire que dans la socialité primaire[…] nous restons régis par l’obligation de donner, recevoir et rendre. C’est en entrant dans ce cycle de donner, recevoir, rendre que nous devenons humains tout simplement » (A. CAILLÉ, Le don entre science sociale et psychanalyse. L'héritage de Marcel Mauss jusqu'à Lacan, dans la Revue du MAUSS semestrielle, n°27, 2006, p. 18)

- « le don est un opérateur d’ambivalence, un opérateur ambivalent de l’ambivalence […]. Ce qui élimine l’ambivalence, c’est ce dont je viens de parler, c’est la loi de la socialité secondaire, c’est le marché, le donnant-donnant ; on est quittes. Si on se situe dans l’équivalence, il n’y a pas d’ambivalence : la loi, c’est la loi. » (ibid)

10. Relations hypertextuelles établies entre la conférence et les lectures

Cette conférence m’a permis de faire le lien avec des lectures déjà effectuées:

- M. MAUSS, « L’Essai sur le don », dans Sociologie et anthropologie, PUF, 1995

- le concept de « convivialité » développé par un des précurseurs de l’écologie politique, Ivan Illich: I. ILLICH, La convivialité, Paris, Seuil, 1973

- la critique de la croissance et du développement comme mythes des sociétés occidentales : S. LATOUCHE, Petit traité de la décroissance sereine, Paris, Mille et une nuits, 2007 et Survivre au développement, Paris, Mille et une nuits, 2006

- la position de Marcel Hénaff sur le don : Entretien avec M. HENAFF, « De la philosophie à l’anthropologie, comment interpréter le don », dans Esprit, numéro intitulé « Y a-t-il encore des biens non-marchands ? », février 2002

- celle de Maurice Godelier (lien avec le sacré) : M. GODELIER, l’Enigme du don, Paris, Fayard, 1996

Certains points sont éclairés par les autres conférences du cycle :

- fiche de lecture de Romain sur le don en entreprise (2ème conférence)

- fiche de lecture d’Amandine sur le don dans le domaine hospitalier (3ème conférence)

- fiche de lecture de Kamel sur l’ambivalence du don (4ème conférence)

Un lien peut être étendu à des lectures plus juridiques qui permettraient de retranscrire certains propos en termes juridiques :

- voir les tensions entre marché et système du don à travers celles entre droit et non-droit : J. CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 2001,

- le « pluralisme juridique » qui permettrait d’envisager la circulation du don au sein des diverses sphères primaires comme constituant des ordres juridiques autonomes : voir notamment la théorie radicale de R. A. MACDONALD, « L’hypothèse du pluralisme juridique dans nos sociétés démocratiques avancées », présenté au colloque Les transformations du droit et de la théorie normative du droit, en mai 2001 à la Faculté de droit de Sherbrooke, 20 pages

Cécile Bes

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